17/05/2019

Les expériences de soulèvement populaire au Soudan : leçons et défis

Protestations_Soudan

Par Ahmed Ibrahim Abu Shouk

Cet article propose une approche historique des expériences de soulèvement populaire au Soudan. Il examine la nature des défis qui ont empêché une conversion démocratique durable et s’interroge sur les moyens de mettre à profit ces expériences dans le cadre du « soulèvement de décembre 2018 », qui a d’ores et déjà fait tomber la tête du régime et enclenché un processus de transition censé aboutir à l’établissement d’un régime démocratique qui contribuera à la restructuration de l’État postcolonial et de ses institutions héritées de l’ère coloniale.

Mais une telle conversion soulève un certain nombre de questions fondamentales : En quoi la structure de l’État et de ses institutions a-t-elle besoin d’être réformée ? Quelles sont les causes structurelles des précédents soulèvements au Soudan et les obstacles qui ont empêché de s’attaquer à leurs racines ? Quels slogans pour le changement ont été popularisés lors de ces soulèvements ? Quelles structures politiques et sociales étaient, et sont toujours, concernées par le changement ? Pourquoi les propositions de changement ont-elles échoué ? Comment, dans la situation actuelle, opérer une transition entre les institutions d’un État profond totalitaire en place depuis trois décennies (1989-2019) et un régime démocratique satisfaisant les revendications du « soulèvement de décembre 2018 » ?

Ahmed Ibrahim Abu Shouk

 

Professeur d’histoire moderne et contemporaine, vice-doyen chargé de la recherche et des études supérieures à la faculté des lettres et des sciences de l’université du Qatar, Ahmed Ibrahim Abu Shouk a exercé en tant que chercheur et professeur d’histoire dans divers centres de recherche en Norvège, en Allemagne, aux États-Unis et en Malaisie. Il a à son actif plusieurs ouvrages et publications scientifiques dans le champ de l’histoire et de la politique.

Pour tenter de répondre à ces questions, cet article suivra quatre axes principaux :

      • Les ressorts de cet impérieux besoin de changement.
      • La mise au jour des causes structurelles des précédentes expériences de soulèvement au Soudan et des raisons de leurs échecs.
      • Les leçons que l’on peut en tirer.
      • Les forces centripètes et centrifuges, tant régionales qu’internationales, qui peuvent avoir un impact positif ou négatif sur l’issue et la portée de ce soulèvement pour la liberté, la paix et la justice.

Pourquoi ce besoin de changement ?

Un certain nombre de chercheurs et d’analystes politiques sont d’avis qu’il est urgent de changer les modes de pensée politique et la structure des institutions de l’État soudanais si l’on veut sortir du cercle vicieux des échecs politiques à répétition et s’engager sur la voie d’une démocratie durable. Rappelons que les Soudanais ont eu une première expérience de participation nationale au pouvoir avec les élections législatives de 1948 qui, dans le contexte de la colonisation britannico-égyptienne (1898-1956), furent considérées comme un premier pas vers l’autonomie du Soudan. Elles furent suivies par les élections législatives de 1953[1], qui marquèrent les débuts démocratiques du premier gouvernement national élu, lequel eut l’honneur de déclarer l’indépendance du pays dans l’enceinte même du Parlement soudanais le 19 décembre 1955. Vinrent ensuite les élections de 1958, qui constituèrent un pas vers la consolidation de la démocratie naissante. Mais la lutte pour le pouvoir et les conflits entre partis mirent un terme à cette expérience : la direction du parti Oumma finit par remettre les rênes du pouvoir au commandement des Forces armées, qui dirigea le Soudan pendant six ans (1958-1964). En 1962 se tinrent les élections du Conseil central, essentiellement pour donner une forme de légitimité au pouvoir militaire, auquel la majorité des formations politiques étaient opposées.

Après le renversement du pouvoir militaire consécutif au soulèvement populaire d’octobre 1964, le Soudan fut dirigé pendant un an par un gouvernement civil de transition qui prépara la voie aux élections de 1965. S’ensuivirent plusieurs gouvernements de coalition partagés par deux formations antagonistes : le parti Oumma et le Parti national unioniste. Durant cette période d’instabilité politique, les députés du Parti communiste soudanais furent exclus du Parlement au prétexte qu’ils appartenaient à un parti promouvant l’athéisme. Au même moment, la guerre civile s’intensifiait dans le sud du pays. C’est dans ce contexte que se tinrent les élections de 1968, deuxième acte de consolidation de la pratique démocratique. Le gouvernement élu consistait en une coalition entre le parti Oumma et le Parti unioniste démocratique. Mais les conflits politiques précipitèrent son échec : en 1969, il fut renversé par un coup d’État militaire soutenu par certaines sections du Parti communiste soudanais et des forces de gauche. Le régime militaire porté au pouvoir régna sur le Soudan pendant seize ans (1969-1985). Pour garantir sa pérennité, il se réclama de diverses idéologies contradictoires, de même qu’il s’efforça de légitimer son statut politique en organisant de nombreuses élections législatives et présidentielles dans un cadre non démocratique. Cependant, ces mesures de façade ne suffirent pas à conférer une légitimité au régime, qui finit par être renversé à la faveur du soulèvement populaire d’avril 1985.

Un gouvernement conjoint de militaires et de civils fut alors mis en place pour une période de transition d’un an (comme la fois précédente). Il supervisa la tenue des élections parlementaires de 1985, dont émanèrent plusieurs gouvernements de coalition successifs qui furent en butte aux attaques incessantes d’autres partis et à l’opposition du Mouvement populaire de libération du Soudan du Sud. En conséquence, le gouvernement élu fut renversé le 30 juin 1989 par un putsch organisé et exécuté par le Front national islamique.

De nombreuses transformations politiques sont survenues sous le « gouvernement de salut islamique » qui a conservé le pouvoir de 1989 à 2019 : alors que les registres des élections faisaient état de seize partis officiellement enregistrés en 1986, on en comptait quatre-vingt-trois en 2019 ; par ailleurs, le conflit s’est envenimé entre le régime de Khartoum et le Mouvement populaire de libération du Soudan et les autres factions de l’opposition.

Dans ce contexte conflictuel, le gouvernement de salut islamique s’est employé à affermir sa légitimité en organisant un certain nombre d’élections législatives et présidentielles, mais sans engager de réel processus démocratique ni satisfaire les moindres aspirations des partis de l’opposition et des factions armées. La situation est restée inchangée jusqu’à l’Accord de paix global de 2005, qui a frayé la voie aux élections d’avril 2010 – législatives, régionales (au nord et au sud Soudan) et présidentielle. Ces élections ont engendré des gouvernements fédéraux faibles et dominés par le parti au pouvoir – le Congrès national – et les partis qui lui étaient inféodés. La corruption organisée s’est aggravée et le Congrès national a consolidé sa présence dans tous les rouages du pouvoir. Puis en 2011, le Soudan du Sud a proclamé son indépendance et s’est officiellement séparé de la république du Soudan. De ce fait, le gouvernement de Khartoum a perdu plus de 60 % de ses revenus issus de l’exploitation pétrolière, car la majorité des champs de pétrole du pays se situent sur le territoire du Soudan du Sud.

La crise s’est aggravée en 2018 lorsque le gouvernement de salut islamique s’est trouvé incapable d’assurer les besoins de base de la population (pain, carburant, argent), ce qui a entraîné le déclenchement du soulèvement du 19 décembre 2018, auquel se sont ralliées la plupart des villes et des catégories sociales du pays. Le mouvement a atteint son apogée le 6 avril 2019 avec l’organisation d’un rassemblement permanent devant le quartier général des Forces armées soudanaises, ce qui a conduit l’armée à renverser le régime du président Omar al-Bachir le 11 avril 2019.

On compte donc trois expériences avortées de gouvernements élus démocratiquement, soit onze années non consécutives de pouvoir démocratique, entrecoupées de deux périodes de transition de deux ans au total et de trois régimes militaires (1958-1964, 1969-1986 et 1989-2019) qui ont confisqué le pouvoir pendant cinquante-deux ans.

À présent, le Soudan fait l’expérience d’un troisième soulèvement populaire qui a réussi à faire tomber la direction du régime militaire de salut national, après trente ans de despotisme, d’exclusion politique, de corruption financière et d’incapacité endémique à gérer l’État, ses institutions et ses services. En définitive, les élites politiques n’ont plus qu’une seule alternative : répéter les échecs du passé ou changer leur mode de pensée politique dans l’idée de servir les intérêts primordiaux du pays, et, partant, réformer l’organisation de leurs partis et leurs méthodes de mobilisation démocratique.

Il semblerait que les forces de la Déclaration de la liberté et du changement aient choisi cette seconde option en appelant à la formation d’un gouvernement civil de transition composé de trois organes (un conseil présidentiel dit « souverain », un conseil législatif et un conseil ministériel) chargés de gérer le pouvoir pendant quatre ans, le temps de traiter les problèmes politiques et économiques immédiats et de préparer politiquement le pays à la tenue d’élections générales à l’issue de la période de transition. En principe, cette proposition devrait éviter au pays les désavantages d’un conseil mixte (civil et militaire), modèle qui avait empêché le deuxième gouvernement de transition (1985-1986) de jouer le rôle qui lui était assigné. Quant à la durée de quatre ans suggérée pour la période de transition, elle devrait permettre d’instaurer un dispositif de conversion démocratique à même de satisfaire les revendications des manifestants, qui réclament « la liberté, la paix et la justice ».

Points communs et contrastes

Le dénominateur commun aux trois soulèvements populaires soudanais (1964, 1985 et 2019) est qu’aucun n’a engendré de leader ou de symbole politique comme Gandhi (1869-1948) en Inde, Soekarno (1901-1970) en Indonésie, ou encore Nelson Mandela (1918-2013) en Afrique du Sud. En revanche, ces mouvements ont contribué à l’émergence de leaderships collectifs comme le Front des comités (syndicats professionnels), qui a mené la mobilisation politique après la mort d’un étudiant de l’université de Khartoum (Ahmed Qarshi Taha) le 21 octobre 1964, poursuivi la lutte jusqu’à faire tomber le gouvernement du général Ibrahim Abboud, puis formé un gouvernement de transition pour préparer le retour d’un pouvoir démocratique avec les élections de 1965. Vingt ans plus tard, après le déclenchement du « soulèvement de mars » 1985, est apparu le Rassemblement syndical, qui a pris à son tour les rênes de la lutte contre le gouvernement de Gaafar Nimeiry jusqu’à ce que les forces armées se rangent aux côtés des manifestants le 6 avril 1985. Après ce coup d’État, le pays a été dirigé pendant un an par une structure de transition hybride – un conseil militaire sous la direction du commandement des forces armées et un gouvernement civil – chargée d’organiser des élections générales pour élire une assemblée constituante (ce qu’elle fit en 1986).

Le « soulèvement de décembre 2018 », a quant à lui été mené de main de maître par l’Association des professionnels soudanais. Fer de lance des manifestations, elle a pu rallier les Forces du consensus national, la coalition de l’Appel du Soudan et le Rassemblement unioniste. Ce soulèvement contraste avec les mouvements insurrectionnels précédents en ce qu’il a mobilisé un vaste éventail de jeunes – dont certains ne sont affiliés à aucun parti politique – et de secteurs professionnels, hommes et femmes confondus. Mais il se distingue aussi par sa durabilité, son étendue géographique – les manifestations ont gagné la plupart des villes et des campagnes – et son caractère pacifique, comme en témoignent les slogans scandés par les protestataires. Malgré tout, un certain nombre de martyrs sont tombés pour « la liberté, la paix et la justice ».

Concernant les obstacles qui ont empêché la réalisation des objectifs des soulèvements d’octobre 1964 et d’avril 1985, citons tout d’abord l’hétérogénéité du discours des forces du changement (le Front des comités puis le Rassemblement syndical) et l’incapacité des gouvernements de transition à convaincre les rebelles du Soudan du Sud de se rallier au gouvernement de Khartoum et à arrêter la guerre qui sévissait alors dans le Sud. S’ajoute à cela le manque de pratique démocratique des partis politiques et des institutions étatiques, ainsi que l’absence d’une vision stratégique à même d’ancrer durablement le processus de conversion démocratique. Preuve en est que les partis politiques eux-mêmes ont chaque fois contribué à la faillite de l’expérience démocratique en aidant l’institution militaire à y mettre un terme – rappelons le rôle du parti Oumma en novembre 1964, des partis de gauche en 1969 et du Front national islamique en 1989.

Tirer les leçons du passé

Les mesures proposées dans la Déclaration de la liberté et du changement pour assurer la bonne gestion de la période de transition synthétisent les leçons à tirer des précédentes expériences de soulèvements au Soudan. Tout d’abord, cette période serait portée à quatre ans au lieu de deux. Elle serait menée par un gouvernement civil composé de trois organes. Le conseil présidentiel civil serait constitué de représentants des Forces de la liberté et du changement ainsi que des forces armées (par le biais du ministère de la Défense), et serait en charge des affaires régaliennes et protocolaires. Réunissant dix-sept ministres dont les compétences nationales, l’expérience professionnelle, la probité et la droiture sont attestées, le conseil ministériel mettrait en place le programme de secours prévu pour la période de transition. Enfin, le conseil législatif serait composé de cent vingt membres représentatifs de la diversité ethnique, religieuse et culturelle du pays – dont au moins 40 % de femmes et un nombre conséquent de jeunes. Il aurait pou tâche de :

  • promulguer des lois et des décrets dans le cadre de la Constitution provisoire de 2005 ;
  • contrôler la performance du pouvoir exécutif ;
  • poser les bases d’un référendum sur l’approbation d’une Constitution permanente ;
  • créer une commission électorale et établir le mode de scrutin et la loi électorale.

Sur le plan formel, la feuille de route présentée par les Forces de la liberté et du changement semble dépasser les écueils structurels des gouvernements de transition précédents. Cependant, le véritable défi que ce gouvernement devra relever réside dans la créativité dont il devra faire preuve pour établir une vision stratégique globale pour les quatre années de transition suggérées. Cela suppose une étude exhaustive et pertinente de la situation politique, économique et sociale actuelle afin d’identifier les maillons faibles de cette conjoncture, autrement dit les obstacles susceptibles d’entraver la réalisation des objectifs de la période de transition et les menaces qui peuvent ruiner cette expérience naissante par manque de vigilance et de perspicacité, mais aussi les chances réelles d’atteindre ces objectifs. C’est sur cette base que pourra être définie une stratégie fidèle aux aspirations de « liberté, paix et justice », à la suite de quoi il conviendra de déterminer l’objectif commun de l’ensemble des forces politiques et des institutions de la société civile désireuses d’opérer un changement réel au sein des institutions étatiques héritées de l’époque coloniale. Il faudra alors choisir avec discernement les acteurs-clés de ce processus, sans céder à la complaisance partisane et politique, de façon à ne pas répéter les erreurs du passé et à engager le pays sur des bases solides et novatrices. Si la réponse des partisans du changement est à la mesure du défi auquel ils font face, nul doute qu’ils réussiront à impulser un changement positif. À l’inverse, si le défi dépasse leurs capacités, le soulèvement populaire sera une fois de plus voué à l’échec, malgré le succès déjà enregistré. Les Forces de la liberté et du changement doivent s’inspirer de cette phrase de Nelson Mandela : « Ce n’est pas tant de l’expérience de la nouveauté dont nous avons peur, que de percevoir que nous avons la puissance de réaliser l’impossible ». Or pour réaliser l’impossible, il faut recourir à des moyens inédits qui tiennent compte la réalité concrète et qui répondent aux aspirations des jeunes Soudanais et Soudanaises qui, par leurs slogans stimulants et leur inflexible persévérance face à la brutalité des services de sécurité et des milices du régime, ont constitué le nerf du soulèvement de décembre 2018. Mais dans le même temps, il convient également de s’inspirer de l’expérience des hommes politiques qui se tiennent à leurs côtés dans le camp du changement et qui aspirent eux aussi à un avenir meilleur.

Les éléments centripètes et centrifuges des forces régionales et internationales

Le soulèvement de décembre 2018 avait à peine renversé le président Omar al-Bachir que l’on a vu émerger sur la scène politique soudanaise des forces centripètes – régionales et internationales – appelant à transférer le pouvoir du conseil militaire vers un gouvernement civil qui réponde aux aspirations du peuple soudanais insurgé, ainsi que des forces centrifuges régionales cherchant à servir leur propre agenda politique au détriment du processus de conversion démocratique soudanais. Le secrétaire général de l’Organisation des nations unies, António Guterres, a dépêché un envoyé spécial au Soudan chargé de faciliter le processus de conversion démocratique, en partenariat avec l’Union africaine. De même, les pays de la troïka (les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège) ont encouragé le commandement du conseil militaire à remettre le pouvoir à un gouvernement civil. Quant au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, il a accordé un délai de quinze jours au conseil militaire de transition pour céder le pouvoir, sans quoi l’adhésion du Soudan à l’organisation continentale serait suspendue. Il n’y a rien d’étonnant à ce que ces prises de position aient servi d’adjuvant aux Forces de la liberté et du changement dans la rue soudanaise comme dans leurs négociations avec la direction du conseil militaire.

De fait, ce soutien a entraîné la démission du général Awad Ibn Auf et de son adjoint le général Kamal Abdel-Maarouf, et leur remplacement par les généraux Abdel-Fattah Bourhane et Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemetti ». Mais loin de convaincre les Forces de la liberté et du changement, ces remaniements à la tête du conseil militaire de transition les ont incitées à réclamer la mise en place d’un gouvernement de transition composé de trois conseils civils. À ce jour, les négociations sont toujours en cours entre les deux parties.

On observe simultanément des forces centrifuges qui, cherchant à servir leurs intérêts nationaux et régionaux au Soudan, s’opposent à la mise en œuvre de la conversion démocratique. Regroupant l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte, cet axe semble craindre qu’une transition démocratique soudanaise menace la cohésion de leur propre régime totalitaire. Par ailleurs, ils veillent à exclure les Frères musulmans des cercles du pouvoir au Soudan, tiennent à ce que les forces soudanaises continuent à combattre au Yémen, et s’efforcent d’éloigner le gouvernement de Khartoum du Qatar et de la Turquie. Enfin, l’Égypte a son propre agenda : elle craint la mise en place d’un gouvernement démocratique fort au Soudan qui s’opposerait à l’occupation égyptienne de la zone frontalière du triangle de Halayeb, ou soutiendrait l’Éthiopie dans ses négociations avec l’Égypte sur le barrage d’Al-Nahda.

Les Forces de la liberté et du changement ont donc tout intérêt à miser sur le soutien des pays occidentaux et de l’Union africaine pour transférer le pouvoir à un gouvernement civil, tout en adoptant la plus grande prudence avec les pays de la région, car tout alignement inconsidéré pourrait empêcher la réalisation des objectifs politiques du soulèvement de décembre.

Conclusion

Les fondements structurels de l’État postcolonial soudanais ont besoin d’une réforme radicale, et les modes de réflexion politique doivent évoluer, indépendamment des axes idéologiques gauche-droite. Idéalement, cette mutation de la pensée politique devrait suivre trois étapes essentielles : ouverture, pénétration, recentrage.

L’ouverture implique le renforcement de la communication entre les groupes intellectuels et politiques actifs et militants. Ces groupes devront commencer par mener un travail critique individuel pour évaluer leurs structures idéologiques et politiques, puis, sur la base de cette expertise, les adapter aux exigences minimales de la réalité soudanaise, loin des poncifs dogmatiques. La pénétration consiste à rechercher des éléments nationaux communs et des intersections idéologiques permettant de définir une ligne unifiant les forces sectorielles qui croient en la nécessité du changement. Enfin, le recentrage a pour but d’isoler et de neutraliser les forces intellectuellement sclérosées ou extrémistes dans leur comportement, d’une part, et de créer une coalition des forces modérées partisanes du changement, d’autre part, avant de s’entendre sur le nouveau dispositif de conversion démocratique.

Ces trois étapes sont la condition sine qua non de la réussite du processus de transition démocratique et de la restauration de l’État de droit et des institutions au Soudan. Cependant, on ne peut ignorer les défis de taille qui se posent au processus démocratique. Face à ces difficultés, dirigeants et administrés devront faire preuve d’une conscience politique collective avisée et définir des objectifs stratégiques clairs, fédérateurs et dénués de charge idéologique. Par ailleurs, il convient plus que jamais que le gouvernement civil de transition agisse de façon transparente et disciplinée, tant au niveau des institutions souveraines que des organismes exécutifs.

(traduction de l’arabe par Stéphanie Dujols)


Notes :

[1] Plus précisément les élections de la Chambre des députés et des sénateurs.