24/07/2018

Pages de l’Histoire des partis politiques en Syrie au XXe siècle, et leurs contextes sociaux

L’Arab Center for Research and Policy Studies a récemment publié Pages de l’Histoire des partis politiques en Syrie au XXe siècle, et leurs contextes sociaux, du chercheur syrien Abdallah Hanna. Cet ouvrage de format moyen comprenant 592 pages, références et index compris, est organisé en 22 chapitres et s’articule sur deux axes : l’Histoire de l’ensemble des partis politiques syriens tout au long du XXe siècle et jusqu’au début du XXIe siècle ; et les contextes sociaux qui ont participé de la création de ces partis, de leur ascension et de la disparition de certains d’entre eux.

Toiles de fond et grands noms

Dans le premier chapitre, « Toiles de fond des partis politiques aux différentes étapes de leur constitution », Hanna examine les facteurs à l’œuvre dans la formation des idées et des partis politiques au Moyen-Orient. Il s’agit des facteurs socio-économiques, mais également des influences héritées, que l’auteur divise entre héritage antéislamique et héritage islamique, ainsi que les influences occidentales européennes, capitalistes d’abord, puis socialistes. Il retrace les différentes phases de la vie partisane : la Nahda concomitante aux réformes ottomanes, la révolution du Comité Union et Progrès (plus communément appelé Mouvement Jeune Turc), le Mandat français, l’ère de l’Indépendance, l’Union entre la Syrie et l’Égypte, le rétablissement de la République syrienne, le règne du Baath.

Dans le deuxième chapitre, « Les partis politiques à la fin de l’époque ottomane », l’auteur traite des confréries soufies – les partis d’antan – puis des associations et partis politiques de 1908 à 1914. Il présente ensuite des exemples-types de contextes sociaux (de classe) dans lesquels a évolué la vie politique partisane avant 1918.

Dans le troisième chapitre, « Des grands noms islamistes de la Nahda contre la tyrannie, et leur impact invisible sur la constitution des partis », Hanna évoque certains grands noms du courant salafiste réformateur dans les pays du Levant. Il évoque également un certain nombre de progressistes islamistes qui, ayant rejoint le courant salafiste réformateur, se sont battus contre le despotisme des Sultans et ont œuvré, aux côtés des autres courants de la Nahda, à sortir la Syrie des ténèbres de l’ignorance et à la hisser vers le progrès. Or, ces grandes figures ont joué un rôle d’importance dans la formation puis l’évolution de la plupart des partis politiques. De même qu’ils ont contribué à forger la singularité du mouvement des Frères musulmans en Syrie, qui se caractérise par sa modération et sa tolérance envers les minorités religieuses – le distinguant ainsi de la branche-mère en Égypte, à la tendance plus rigoriste.

Ainsi virent-ils le jour

Dans le quatrième chapitre, « Contextes de la formation des partis », Hanna aborde la question de l’État national syrien entre 1918 et 1920, années de la marche épique vers l’État-nation moderne et la société civile. Il traite par ailleurs du Mandat français, dont l’objectif était de renforcer la mainmise du capitalisme français et de ses institutions sur la Syrie et le Liban, afin de faire fructifier les richesses de ces pays, à la manière bien connue de l’impérialisme.

Abdallah Hanna, Pages de l’Histoire des partis politiques en Syrie au XXe siècle, et leurs contextes sociaux, ACRPS, 2018.

Abdallah Hanna

Né dans le village syrien de Deir Atiyah en 1932, Abdallah Hanna a obtenu son Doctorat en Histoire à l’université de Leipzig en 1965. Il a travaillé dans l’enseignement secondaire après que les universités syriennes lui ont fermé leurs portes, en raison de ses idées de gauche. Il est spécialiste de l’Histoire de la paysannerie et des mouvements ouvriers en Syrie. Il est l’auteur d’un grand nombre d’ouvrages, parmi lesquels : Les orientations intellectuelles en Syrie et au Liban (1973) ; Le mouvement ouvrier en Syrie et au Liban (1973) ; Le mouvement antifasciste en Syrie et au Liban (1975) ; La question agraire et les mouvements paysans en Syrie et au Liban (1975) ; La difficulté de sortir du capitalisme (1981).

C’est ici que réside le côté sombre du Mandat, censé être le « moins lourd » des procédés de colonisation. Hanna étudie également les loyautés claniques et confessionnelles, ainsi que leur antagonisme avec l’appartenance nationale dans les provinces fragmentées du Levant, puis avec la dialectique des révolutions nationales (1919-1927) contre la colonisation, et enfin avec le développement d’une conscience nationale.

Dans le cinquième chapitre, « À propos des contextes de la formation des partis », le chercheur retient deux modèles de référence : le premier est Ibrahim Hananou qui, après la révolte arabe de 1916, devint l’un des fondateurs du Bloc national syrien et l’un de ses plus hauts dirigeants ; le deuxième est le contexte clanique de la ville marchande (et quasi bourgeoise) de Deir Ezzor et la création des partis politiques dans cet environnement-là.

Dans le sixième chapitre, « Les partis à l’époque du Mandat français », Hanna traite de la formation du Parti de l’Indépendance et de l’Union syrienne, ainsi que du Comité exécutif du Congrès syro-palestinien. Il revient ensuite sur la création du Parti du peuple, dirigé par Abdel Rahman al-Chahbandar, du Bloc national et de la Ligue d’action nationaliste.

Dans le septième chapitre, « Les partis à l’époque de l’Indépendance nationale », l’auteur examine le parcours de trois partis : le « Parti national », qui était la formation politique, entre autres, des commerçants et des grands propriétaires ; le « Parti du peuple », qui rassemblait les grands propriétaires, la bourgeoisie d’Alep et un certain nombre de diplômés des universités françaises ; et enfin, le « Mouvement de libération arabe ».

Nationalistes arabes, Frères musulmans et Baath

Dans son huitième chapitre, « Le Parti nationaliste social syrien (1932) et son dirigeant Antoun Saadé », Hanna revient sur la création de ce parti, ses principes fondateurs, les différentes phases politiques qu’il a traversées et l’aspiration au pouvoir de son « chef » Antoun Saadé. Il revient également sur le ralliement d’un certain nombre de membres et notables de la communauté alaouite à ce parti. Pour l’auteur, le succès de ce parti fut particulièrement édifiant parmi les Chrétiens et les Alaouites. En revanche, « il n’avait pas de présence significative dans les différents milieux sunnites, en raison de son laïcisme et de sa position équivoque à l’égard du panarabisme étroitement lié à l’Islam. Son expansion fut freinée par l’insistance de son prisme sur le nationalisme syrien. Cela eut pour effet d’éloigner la majorité de la population qui, foncièrement attachée à la notion d’arabité, refusait d’y renoncer au profit d’un nationalisme syrien qui lui était étranger ».

Dans le neuvième chapitre, « Les Frères musulmans », l’auteur se penche sur le salafisme dans la diversité de ses courants et, parmi eux, celui du salafisme éclairé qui s’est employé à mettre en exergue l’aspect rationnel du culte islamique. Ce courant a ouvert la porte à un effort d’interprétation des préceptes religieux, en accord avec les besoins et les nécessités de l’époque. Il a tenté de concilier littéralisme et interprétation rationnelle, d’améliorer la situation des musulmans en les ramenant vers un Islam authentique débarrassé des superstitions et des idées fausses, et de sortir l’Islam de l’isolement auquel l’avaient condamné les cheikhs à la pensée sclérosée. Hanna précise que le mouvement des Frères musulmans d’Égypte a pris sa source dans le salafisme du désert du Nejd, alors que celui de Syrie s’est inspiré du salafisme réformiste levantin, qui s’est imprégné de la pensée de Mohammed Abdu et a cheminé dans son sillage.

Dans le dixième chapitre, « Le parti du Baath arabe », Hanna traite du parcours de ce parti et de ses fondateurs Michel Aflaq, Salah al-Bitar et Jalal al-Sayyid. Il présente ce que fut la première version du Baath, proposée par Asaad al-Astouani et Khaled al-Joundi. Il revient sur la vie de ce dernier, qui indique deux choses : l’influence sur certains milieux du Baath de la pensée nationaliste allemande qui, ayant abouti à l’unité de l’Allemagne, était perçue comme utile à la réalisation de l’unité arabe ; l’influence sur certains milieux baathistes de la pensée marxiste et le projet d’en emprunter la voie afin de parvenir au socialisme.

Des partis et des républiques

Dans le onzième chapitre, « Le Parti socialiste arabe », Hanna se penche sur ce parti créé en contestation du féodalisme dans le giron du mouvement populaire de la ville de Hama, au cours des années 1940, par des hommes de religion éclairés, comme les cheikhs Ahmad al-Sabouni et Abdel Qader Oudi ou encore Saïd al-Jabi.

Dans le douzième chapitre, « Le parti communiste syrien : l’ascension et la chute », Hanna traite des poncifs progressistes et tiers-mondistes qui présidèrent à la formation du Parti communiste syrien des premiers temps (1924-1945), et relate le parcours de Khaled Bakdash au sein du parti (1930-1955). Il revient sur les deux évènements cruciaux auxquels le parti dut faire face : la décision des Nations unies de diviser la Palestine entre les Arabes et les Juifs, l’approbation de cette dernière par l’Union soviétique, puis la déclaration par Bakdash, au nom du parti, de son soutien à la décision soviétique ; et la position concernant l’unité arabe et la République Arabe Unie.

Dans le treizième chapitre, « Des penseurs dans la vie partisane syrienne », Hanna parle du réformateur nationaliste (non panarabiste) Abdel Rahman al-Chahbandar ; de Abdel Rahman al-Kiali, l’un des chefs du Bloc national et président du Parti national ; de l’intellectuel éclairé Abdel Wahab Houmad et de Adnan al-Atassi, tous deux dirigeants du Parti du Peuple ; des Frères musulmans Nabil al-Tawil et Hassan Howaïdi ; du penseur baathiste Jamal al-Atassi ; et des marxistes Badreddine al-Sabaï et Zahir Abdel Somd.

Dans le quatorzième chapitre, « Les trois républiques : de Abdel Nasser à Hafez al-Assad », Hanna retrace d’abord l’histoire de la République arabe unie (1958-1961), puis celle de la République arabe syrienne qui ressuscita la vie politique parlementaire et la liberté partisane, et enfin la République du Baath.

Vie partisane

Dans le quinzième chapitre, « Les facteurs de la rétractation de la vie politique partisane au cours du dernier tiers du XXe siècle », Hanna énumère les facteurs du recul de la vie politique, comme les changements socio-économiques, les difficultés de gestion du secteur public, le rôle de l’argent du pétrole dans le déclenchement des crises et leur aggravation, l’ébranlement de la structure sociale et le contrôle du pays par les catégories non-productives de la population, la défaite de 1967, la montée de l’Islam politique après que la gauche s’est avérée incapable de libérer la Palestine et de promouvoir la justice et l’égalité sociales, ou encore le traumatisme que connut la société syrienne après le massacre de Hama (1982).

Dans le seizième chapitre, « La vie partisane, entre soumission au régime totalitaire et persévérance à brandir l’étendard », l’auteur revient sur deux personnalités emblématiques, qui ont vécu tour à tour les phases d’ascension et de chute. Il s’agit de Abdel Aziz Othman et de Thabit Azaoui qui, loin d’être des cas isolés, incarnent au contraire la situation d’une grande partie des membres des partis politiques syriens.

Dans le dix-septième chapitre, « Les partis communistes sous le règne du Baath », Hanna examine le Parti communiste syrien et ses divisions, ainsi que la transformation du « Parti communiste-Bureau politique » en « Parti démocratique du peuple », puis l’essor de la « Ligue de l’action communiste » et sa transformation en un parti œuvrant dans les rangs d’une jeunesse majoritairement issue de zones géographiques partisanes de la laïcité.

Dans le dix-huitième chapitre, « Des partis laïcs non-communistes et non-associés au pouvoir », Hanna évoque d’autres partis, comme le Parti arabe révolutionnaire des travailleurs. Fondé en 1966 par Yassin al-Hafez, ce petit groupe de baathistes dissidents influencés par la pensée marxiste appelait à la démocratie, à la laïcité, à la liberté, à la justice sociale et à l’unité arabe. Il évoque également le « Mouvement socialiste arabe », une extension du Parti arabe socialiste ayant fusionné avec le Parti Baath en 1953 ; le « Parti du Baath arabe socialiste et démocratique » ; l’« Union socialiste arabe » ; le « Parti de l’Union socialiste arabe démocratique » ; et enfin le « Rassemblement national démocratique ».

Islam politique… et donc révolution

Dans le dix-neuvième chapitre, « Les Frères musulmans : leurs péripéties au sein de la république du Baath », l’auteur détaille le conflit opposant d’une part le régime baathiste laïc s’appuyant sur les tranches de la société à qui ont profité les politiques de nationalisation et de réforme agraire, ainsi que sur les forces intellectuelles aspirant au développement ; et de l’autre, le groupe des Frères musulmans qui a renoncé à la ligne modérée et s’est engagé dans la voie de la confrontation armée, motivée par des facteurs socio-économiques intérieurs, mais également un appui extérieur.

Dans le vingtième chapitre, « La scène islamiste en Syrie au tournant du XXIe siècle », Hanna fait la lumière sur différents aspects se rapportant à l’Islam politique. Ses courants et partis ayant progressivement gagné des positions influentes dans les pays arabes, l’islam politique est devenu le point de jonction entre deux siècles indissociables. L’auteur aborde différents sujets qui viennent à la fois clore le siècle passé et introduire le siècle présent, comme le « Jihad en Islam » et le salafisme djihadiste en Syrie.

Dans le vingt et unième chapitre, « Le voilement du visage de la femme dans la Syrie du XXe siècle et son lien invisible avec les partis politiques », l’auteur aborde les phénomènes que sont le voilement et le dévoilement du visage féminin, au gré de deux évènements qui ont bouleversé les sociétés égyptienne et syrienne du XXe siècle. D’abord, l’essor de la Nahda arabe et de l’un de ses credo appelant à l’émancipation de la femme et au dévoilement de son visage. Ensuite, la montée de l’Islam politique et son travail pour le retour du port du hijab.

Quant au vingt-deuxième et dernier chapitre, « Les mouvements populaires… La révolution contre le régime », l’auteur conclut qu’ils s’inscrivent dans la suite logique des événements survenus en Syrie au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Et ce, sans s’enfoncer dans le terrain obscur de l’État sécuritaire syrien, ni entrer dans le détail de ce qui a poussé l’opposition, qui se caractérisait dans ses débuts par l’activisme des forces laïques de gauche, à bifurquer vers la droite et passer sous la domination de l’Islam politique.

(traduction de l’arabe par Marianne Babut)