15/03/2019

Huit ans après les premiers soulèvements, quel avenir pour la Syrie ?

Huit ans après les premiers soulèvements, quel avenir pour la Syrie ?

Par Salam Kawakibi

Pendant que les Syriens « célèbrent » le 8e anniversaire de leur révolte populaire et pacifique – avant sa transformation en tuerie –, les acteurs régionaux et internationaux se disputent la mainmise sur les ruines.

Article publié conjointement sur : Middel East Eye

Les réunions se succèdent en ce mois de mars pour évaluer la situation en Syrie et le futur du pays. Ainsi, pour commémorer le 8e anniversaire de la révolution syrienne ce vendredi 15 mars, l’Union européenne réunit prochainement un mélange hétéroclite de Syriens pour parler de la situation et de ses aboutissements.

Des activistes, ou des pseudo-activistes, des opposants, ou des pseudo-opposants, des représentants camouflés du pouvoir de Damas ainsi que des experts techniques se retrouveront donc à Bruxelles pour endosser le rôle de ceux qui porteront le changement dans la politique européenne envers la Syrie, si politique il y a.

Des voix, qui semblent être de plus en plus audibles, s’élèvent ces derniers mois pour inviter l’Europe à adopter une ligne de realpolitik (réalisme politique) dans le traitement du dossier syrien. Cela signifie un engagement rapide et efficace dans le processus décidé par la Russie, la force dominante parmi les destructeurs de la Syrie, qui cherche à impliquer l’Europe et les pays du Golfe dans la voie de la « reconstruction » de ce pays dévasté.

La ruée vers la reconstruction

Pour autant, l’Europe ne jouera pas le moindre rôle politique. Un scénario « déjà vu » qui rappelle comment Bruxelles dépensait des millions pour reconstruire Gaza après chaque destruction massive causée par les forces israéliennes. La règle était d’ailleurs bien connue sous le titre : « pay and don’t play » (payez, mais n’ayez aucun rôle).

Pendant que les Syriens « célèbrent » le 8e anniversaire de leur révolte populaire et pacifique – avant sa transformation en tuerie, avec 7 millions de réfugiés, près d’un demi-million de morts et des dizaines de milliers de disparus –, les acteurs régionaux et internationaux se disputent quant à la façon la plus convenable de satisfaire leurs intérêts en cherchant, chacun, à avoir la mainmise sur les ruines. Et ce malgré les appels à l’ordre de certains dirigeants européens, comme la chancelière allemande Angela Merkel.

Plusieurs capitales européennes se précipitent donc pour étudier le terrain, évaluer les besoins et renouer des contacts utiles avec la « mafia » syrienne, épaulée par sa monitrice russe, afin de se réserver une place sur le devant de la scène de ce futur marché juteux.

Même si la Russie a bel et bien gagné la guerre militaire contre les rebelles en adoptant une stratégie de l’époque nazie – la stratégie de la « la terre brulée » –, elle sera incapable, avec une économie agonisante, de mettre la moindre piastre dans la reconstruction de cette Syrie « libérée » par ses soins.

 

Salam Kawakibi

Directeur du CAREP Paris

Chercheur en sciences politiques, Salam Kawakibi est directeur du CAREP Paris. Ancien directeur adjoint à l’Arab Reform Initiative, professeur associé à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il est également président de l’association « Initiative pour une Syrie nouvelle ».

Diplômé de troisième cycle en sciences économiques, relations internationales et sciences politiques des universités d’Alep et Aix-en-Provence, il occupe les fonctions de chercheur principal de 2009 à 2011 à la faculté de sciences politiques de l’université d’Amsterdam. De 2000 à 2006, il dirige l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo) à Alep. Il est membre du conseil consultatif de la Fondation assemblée des citoyens et citoyennes de la Méditerranée (FACM) et membre de la rédaction de la revue Confluences Méditerranée. Il est aussi président du conseil consultatif de l’organisation Ettijahat-Independent Culture et membre du conseil consultatif de The United Nations University Institute on Globalization, Culture and Mobility (UNU-GCM).

Ces agitations se déroulent en marge des démonstrations successives d’une victoire définitive auto-proclamée par le régime de Damas et ses alliés russes et iraniens.

Un pays en ruine, une « sécuritocratie » dépendante de ses protecteurs extérieurs, une économie dans une situation moribonde, au moins 7 millions d’habitants exilés sans aucune perspective de retour, le règne endémique de la corruption, l’exercice d’une terreur méthodique… la liste des réalisations du régime et de ses alliés ne peut être close.

Sans oublier que le contrôle national sur le terrain, si contrôle il y a, est le domaine réservé des forces non-étatiques locales, telles que les Forces de défense nationale pro-gouvernementales et les bandes armées liées à des personnalités influentes.

Les échecs de l’opposition syrienne

L’opposition syrienne, à l’instar de l’ensemble du pays, sort vaincue de cette tuerie. Les multiples origines idéologiques de cette opposition (communistes, islamistes, nationalistes arabes, etc.) l’ont empêchée de travailler efficacement et de coordonner ses actions.

Elle a en outre été soumise à des manipulations étrangères, régionales et internationales, à cause d’une faiblesse structurelle due à son histoire et son développement en marge d’un pouvoir qui impose la terreur depuis des décennies.

Les différentes formations de l’opposition syrienne ont failli à leur mission : absence de projet consensuel et d’un leadership charismatique, mais aussi de soutien réel de la part des « amis de la Syrie ». Les différents chefs de ces formations politiques ont ainsi mal géré les dossiers les plus primordiaux.

La guerre des egos s’est avérée fatale. Elle a empêché les uns et les autres de trouver un terrain d’entente, de joindre leurs visions politiques pour imaginer la Syrie de demain. Les carences idéologiques d’un temps passé ont déformé les pratiques politiques et ont limité les marges démocratiques au sein même des partis de l’opposition, censés œuvrer pour établir la démocratie dans un futur désiré pour le pays.

Dès lors, et pour installer leurs contrôles, les différents chefs de courants, dans une course effrénée pour assoir leur pouvoir, ont fait appel à des soutiens extérieurs ; ils étaient même prêts à se faire manipuler par des forces régionales pour lesquelles la liberté et la dignité des Syriens ne représentaient aucun intérêt.

Avec la militarisation de la révolte à la fin de 2011, l’opposition politique syrienne était incapable d’encadrer les nouvelles brigades armées, rassemblées au sein de la dénommée Armée syrienne libre (ASL). Cette faiblesse, voulue par certains, a laissé la porte grande ouverte à toutes les manipulations et ingérences étrangères possibles.

Un peuple abandonné à son sort

Cependant, il est important de ne pas tomber dans le piège de la facilité en se contentant, comme le font beaucoup, d’attribuer à l’opposition syrienne, divisée et sans soutien réel, toute la responsabilité de cette défaite.

Les « amis du peuple syrien », qui ont longuement prétendu porter sa cause et protéger son existence, étaient très présents dans les discours et catastrophiquement absents dans les actes. Ainsi, le régime syrien, qui a su manipuler durant des décennies plusieurs formations politiques libanaises et palestiniennes, allait sans grande difficulté pouvoir semer le doute, la méfiance et les conflits au sein même de l’opposition.

Les Syriens ont connu en 2011 une période d’attente et ont dû « gérer l’espoir ». Durant les années qui ont suivi, avec un degré diabolique de violence exercée à leur égard du côté du régime, ils ont été amenés à « gérer la douleur » de la tuerie.

Finalement, avec l’intervention militaire russe directe en septembre 2015, l’indifférence occidentale à leurs peines, la paralysie de l’action politique des institutions onusiennes, l’impunité totale des forces loyales au régime, le kidnapping de la révolution par des groupuscules extrémistes et la focalisation sur les terroristes de Daech, les Syriens se retrouvent en phase de « gestion de la défaite ». Toutefois, ce n’est pas une fatalité en soi car « gérer un dossier » démontre une volonté de le régler.