10/02/2022

Regard sur la transition démocratique soudanaise

Visuel entretien Soudan
Entretien avec Abdelwahab al-Effendi
Propos recueillis par Isabel Ruck

Le Soudan représentait jusqu’ici un espoir, celui de voir aboutir le dernier processus de démocratisation encore en cours dans le monde arabe, depuis la chute du dictateur Omar el-Béchir, qui a gouverné le pays d’une main de fer entre 1989 et 2019. Après la destitution de Béchir par l’armée, un Conseil militaire de transition (TMC), composé de militaires et de civils, prend le pouvoir le 11 avril 2019. Ce conseil devient ensuite le Conseil de souveraineté (CS) le 17 août 2019, chargé de diriger la transition démocratique du pays. Toutefois, cette transition reposait sur un équilibre fragile. Selon Abdelwahab al-Effendi, il s’agissait dès le début d’un « partenariat paradoxal » entre civils et militaires, entre révolutionnaires et anciens bourreaux, qui était condamné à échouer. Le coup d’État militaire du 25 octobre 2021 était donc quelque peu prévisible, au vu de la complexité des dynamiques politiques internes du pays, pas toujours facile à saisir pour des non-spécialistes du Soudan.
Nous avons demandé à Abdelwahab al-Effendi,
Doyen et actuel président du Doha Institute for Graduate Studies et ancien diplomate au ministère des Affaires étrangères du Soudan (1990-1997),
de décrypter la situation soudanaise pour nous.

I.R. : Quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui ont conduit au blocage de la transition démocratique au Soudan ?

A. A.-E. : Selon moi, le problème essentiel réside dans la nature de la coalition qui compose les Forces de la liberté et du changement (FFC), fer de lance de ce processus, les tâches qu’elles se sont fixées et le type d’alliances qu’elles ont nouées avec les militaires.

L’opposition à l’ancien régime islamiste, dont ont hérité les FFC, était dominée par des partis laïques radicaux, en particulier le Parti communiste soudanais (SCP) et des factions du parti Baath (pro-Irak), en alliance avec un ensemble de partis libéraux. Les FFC se sont fixées comme priorité de démanteler l’ancien régime, d’exclure ses partisans du processus politique et de concevoir un régime de transition qui produirait les résultats politiques « souhaitables », selon eux.

Dans ce processus, les FCC ont retardé l’introduction de vraies procédures de transition, telles que la mise en place d’une commission électorale, la rédaction de lois électorales, la prise de mesures pour sauvegarder l’État de droit ou protéger les droits de l’homme, en particulier la liberté d’organisation civile et politique.

S’ajoute à cela l’implication des militaires et des fameuses Forces de soutien rapide[1] (RSF), qui a compliqué la situation. Les composantes des FFC ont commencé à coopérer à contrecœur avec ces formations militaires et miliciennes. Cependant, les relations se sont complètement rompues lorsque le sit-in de l’opposition devant le QG de l’armée a été violemment dispersé en juin 2019.

Chronologie des événements

Visuel Chronologie Soudan
© CAREP Paris

Notes :

[1] Il s’agit d’une milice créée par l’ancien président Omar Al-Bashir, d’abord pour combattre les rebelles au Darfour – où les RSF constituaient le noyau dur des milices dites Janjawid – puis pour protéger ce dernier contre les militaires mécontents.

[2] Hemedti, ou de son vrai nom Mohamed Hamdan Dogolo, est un officier soudanais et le chef d’unités régulières paramilitaires (qui ne sont en fait que des milices janjawid officialisées), à savoir la Brigade du renseignement aux frontières et les Forces de soutien rapide (FSR ou RSF). En 2019, à la suite de la chute du régime d’Omar el-Bechir, il devient le numéro deux du Conseil militaire de transition, puis du Conseil de souveraineté, tous deux présidés par le général Abdel Fattah Abdelrahmane al-Burhan.

[3] Abdelwahab al-Effendi, « Sudan’s states of exception”, Al-Jazeera English, 2 novembre 2021. URL : https://www.aljazeera.com/opinions/2021/11/2/sudans-states-of-exception (consulté le 7 février 2022).

[4] En référence à la déclaration du Président Woodrow Wilson le 2 avril 1917 devant une session conjointe du Congrès pour demander une déclaration de guerre contre l’Allemagne afin que le monde « soit sécurisé pour la démocratie ».

[5] Pour aller plus loin sur ce point, voir notamment la réponse à la dernière question de l’entretien filmé avec Gwenaëlle Lenoir, « Soudan : Une transition démocratique avortée ? », CAREP Paris, février 2022. URL : https://www.carep-paris.org/5-questions-a/5-questions-a-gwenaelle-lenoir/ (consulté le 10/02/2022).

[6] Pour aller plus loin sur cette période, voir : Peter Malcom HOLT et M.W. DALY, A history of the Sudan. From the Coming of Islam to the Present Day. London/New York, Routledge, 2011, 6th edition.

[7] La révolution d’Octobre 1964 constitue la première grande révolution soudanaise dans l’histoire. Elle a été dirigée contre le régime militaire du général Ibrahim Abboud, qui a pris le pouvoir après un putsch en 1958. Pour aller plus loin, voir : Elena VEZZADINI, « Culture de gauche et mémoires révolutionnaires au Soudan », Noria Research, Mai 2019. URL : https://noria-research.com/cultures-de-gauche-et-memoires-revolutionnaires-au-soudan/ (consulté le 10/02/2022).

[8] Il s’agit du coup d’état militaire dirigé par le colonel Omar al-Bashir contre le gouvernement de l’époque du Premier ministre Sadiq al-Mahdi.

[9] Pour aller plus loin, voir l’entretien filmé en 5 questions avec Gwenaëlle Lenoir, « Soudan : Une transition démocratique avortée ? », CAREP Paris, février 2022. URL : https://www.carep-paris.org/5-questions-a/5-questions-a-gwenaelle-lenoir/ (consulté le 10/02/2022).