08/04/2025

Al-Charaa ou la métamorphose d’un chef djihadiste en président de transition syrien

Montage de 2 photos Al-Joulani/Al-Chara'a
Montage de 2 photos Al-Joulani/Al-Chara'a © Wikimedia commons.

Résumé

Cet article analyse la transformation idéologique, stratégique et politique d’Abou Mohammad al-Joulani, ancien chef de Jabhat al-Nosra, devenu Ahmad al-Charaa, président de la transition syrienne après la chute du régime de Bachar al-Assad, le 8 décembre 2024. À la tête de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), Al-Joulani dirigeait à l’origine un groupe militant issu du djihadisme, qu’il a progressivement transformé en un mouvement à visée strictement syrienne. Son pragmatisme politique, orienté vers une prise en main directe du pouvoir et de la gouvernance, lui a permis d’opérer une transition de chef insurgé à acteur central de l’État.

Cette étude examine les dynamiques qui ont facilité ce repositionnement, en s’appuyant sur la réorganisation interne de HTC, l’évolution du discours idéologique, et les stratégies de légitimation mises en œuvre dans le cadre de la transition syrienne.

L’analyse repose sur une lecture empirique des discours d’Al-Charaa, de ses décisions politiques et de son positionnement géopolitique, en soulignant l’interaction entre les rapports de force internes et les pressions diplomatiques extérieures. Enfin, elle interroge la viabilité du nouveau modèle de gouvernance syrien, les défis liés à l’intégration d’anciens leaders issus de l’insurrection dans les institutions, ainsi que les implications plus larges pour la stabilisation et la sortie de crise en Syrie.

Introduction

À la suite de la chute du régime de Bachar al-Assad, le 8 décembre 2024, la Syrie est dirigée par un gouvernement de transition présidé par Mohammed al-Bashir, ancien chef du Gouvernement de salut syrien dans la province d’Idleb. Le véritable homme fort de cette période reste cependant Ahmad al-Charaa, qui a assumé ce rôle dès la formation du gouvernement de transition. Il a été officiellement désigné président de transition de la « Nouvelle Syrie » le 29 janvier 2025 (MEM, 2025). Le gouvernement de transition ainsi que la présidence sont aujourd’hui dominés par d’anciens responsables de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), un groupe issu de Jabhat al-Nosra, elle-même ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda (Usher, 2024). HTC s’est engagé dans des combats à la fois contre le régime syrien et contre d’autres factions rebelles pour le contrôle territorial. Un tournant décisif dans sa trajectoire a lieu en 2016, lorsqu’il rompt officiellement avec Al-Qaïda — une décision marquant un changement idéologique et stratégique majeur, qui permet à HTC de se repositionner comme un acteur syrien autonome plutôt que comme un groupe djihadiste transnational (ibid.).

Cet article examine HTC et son leadership à la fois en tant que groupe rebelle et qu’autorité de gouvernance. Il s’intéresse plus particulièrement au processus de transformation d’Abou Mohammad al-Joulani, ex-leader de Jabhat al-Nosra, devenu figure politique sous le nom d’Ahmad al-Charaa. L’étude analyse les mutations idéologiques, discursives et stratégiques qui ont façonné cette trajectoire, à partir de plusieurs cadres théoriques : celui d’Omar Ashour (2009) sur la déradicalisation, de Stathis Kalyvas (2006) sur le contrôle et la légitimité dans les guerres civiles, et de Zakariah Mampilly (2011) sur les gouvernances rebelles. L’analyse repose sur un travail empirique fondé sur les discours, les décisions politiques et le positionnement géopolitique d’Al-Charaa. Ashour identifie trois dimensions principales de la déradicalisation : idéologique, comportementale et organisationnelle. Cela implique l’abandon des principes fondamentalistes au profit d’un cadre politique plus modéré, le rejet de la violence au profit de modes d’action pacifiques, et une transformation interne de l’organisation pour l’aligner sur des logiques politiques et institutionnelles. Le cadre de Kalyvas met en lumière la dimension localisée et contingente de la violence dans les conflits civils. Il montre que la gouvernance exercée par les groupes rebelles dépend étroitement des dynamiques du conflit, les obligeant à s’adapter en permanence pour maintenir leur contrôle. De son côté, Mampilly analyse l’impact de la formation — ou de l’effondrement — de l’État sur l’émergence des mouvements rebelles, et montre comment ceux-ci parviennent à exercer un contrôle de facto sur des territoires en créant des structures de gouvernance parallèles.

La transformation du comportement conflictuel de HTC — ou son abandon progressif de la violence armée — constitue un enjeu central pour comprendre l’évolution des mouvements islamistes armés et leur quête de légitimité politique (Hamid, 2014). Le cas d’Al-Joulani soulève plusieurs interrogations : quels facteurs ont permis cette transition ? S’agit-il d’une stratégie de survie politique ou d’un réel tournant idéologique ? Et comment cette évolution a-t-elle influencé la gouvernance de HTC, sa reconnaissance internationale et le paysage politique local ? Cette recherche adopte une approche intermédiaire, centrée sur les dynamiques à l’échelle organisationnelle. Elle examine les processus de décision internes au sein de HTC tout en tenant compte des influences extérieures et du contexte géopolitique régional. Les relations internationales ne sont abordées que de manière périphérique. L’étude est structurée en quatre parties, abordant successivement l’adaptation idéologique, les transformations comportementales et de gouvernance, ainsi que les stratégies politiques. La dernière section s’interroge sur la durabilité du nouveau gouvernement et la portée réelle de ses réformes.

Adaptation idéologique : l’évolution du discours d’Al-Joulani

Les groupes islamistes qui s’engagent dans l’arène politique formelle se trouvent souvent confrontés à un dilemme entre la fidélité à leurs principes idéologiques et les exigences du pragmatisme politique (Hamid, 2014). Sous la direction d’Abou Mohammad al-Joulani, Hayat Tahrir al-Cham (HTC) a illustré cette tension en adoptant une posture de plus en plus flexible, marquée par un éloignement progressif des agendas djihadistes transnationaux au profit d’un ancrage local et d’une quête de légitimité. La transformation d’Al-Joulani s’est construite progressivement au fil des années, comme en témoignent non seulement ses prises de parole, mais aussi l’évolution soigneusement orchestrée de son image publique. Dans ses premières années, il arborait des vêtements traditionnels djihadistes, incarnant le rôle de chef militaire. Lors de l’opération « Dissuasion de l’agression », il apparaissait fréquemment en tenue de combat. Aujourd’hui, sous le nom d’Ahmad al-Chara’a, il se présente en costume occidental, barbe taillée, adoptant les codes visuels d’un homme d’État contemporain (Da Silva, 2024).

Sa rhétorique a elle aussi connu une mutation notable. Al-Joulani prônait initialement l’établissement d’un État islamique fondé sur la charia. Mais dans son discours du 8 décembre 2024, prononcé à la mosquée des Omeyyades, il opère un virage stratégique majeur, redéfinissant HTC comme un acteur politique modéré, prêt à prendre part à la reconstruction de la Syrie post-Assad (Al-Jazeera, 2024). Ce discours souligne l’unité nationale syrienne, appelle à la réconciliation entre factions et insiste sur la nécessité de rebâtir le pays. Dans cette nouvelle posture, Al-Charaa défend une forme d’islamisme pragmatique, voire technocratique, enracinée dans le cadre national. Cette orientation traduit une volonté de modernisation et de stabilisation, en rupture avec les références islamistes classiques du passé. Le discours a été bien accueilli par plusieurs puissances arabes et acteurs internationaux, qui y ont vu l’émergence d’un interlocuteur crédible pour la phase de reconstruction. Néanmoins, le scepticisme demeure quant à la sincérité de cet engagement et à la capacité de HTC à se transformer durablement en force politique intégrée. Le 29 janvier 2025, Ahmad al-Charaa est officiellement nommé président intérimaire de la République arabe syrienne. Lors d’une conférence dédiée à la révolution syrienne, il prononce un discours marquant, axé sur les priorités de l’avenir syrien. Il y annonce notamment la tenue d’une « Conférence de dialogue national » et plaide pour une participation inclusive de toutes les composantes de la société. Il affirme vouloir mettre fin aux violences internes et garantir un climat de sécurité à tous les citoyens, quelles que soient leur origine ethnique ou leur affiliation religieuse (Harmoon Center, 2025). Il déclare : « Dans les phases de transition, il est nécessaire d’avoir une équipe de travail harmonieuse. À ce stade, nous ne voulons pas distribuer les institutions et les ministères comme des cadeaux aux ethnies, aux sectes et aux partis ».

Abordant la question des réfugiés, Al-Charaa exprime sa conviction que la majorité des 14 millions de Syriens déplacés pourront revenir dans les deux années à venir (TRTWorld, 2025). Il reconnaît l’ampleur des défis, notamment la reconstruction des infrastructures et du logement, tout en saluant la résilience du peuple syrien (Harmoon Center, 2025). Dans un geste de rassemblement national, il rappelle la diversité historique de la Syrie, citant la coexistence des musulmans, des chrétiens, des Kurdes, des Alaouites et des Druzes. Dans ses discours récents, Al-Charaa insiste également sur son attachement à certaines valeurs démocratiques. Il emploie des notions telles que « pluralisme » et « égalité », affirme la nécessité de protéger les droits humains et les libertés fondamentales, et reconnaît l’importance de la démocratie (Bunzel, 2025).

Comportement et gouvernance : de la guerre à la politique

Face à la diversité religieuse, ethnique et confessionnelle de la Syrie, Ahmad al-Charaa a progressivement réévalué ses positions et ajusté son comportement en fonction de ses interactions avec divers acteurs politiques et militaires. Ce changement reflète une volonté affirmée de dépasser le modèle de gouvernance djihadiste pour inscrire Hayat Tahrir al-Cham (HTC) dans le paysage politique de la Syrie post-conflit. Al-Charaa a adopté une posture de plus en plus pragmatique, délaissant les positions idéologiques rigides au profit de stratégies politiques plus souples et adaptatives. Cette évolution témoigne de sa prise de conscience des réalités complexes de la société syrienne, mais aussi des attentes de la communauté internationale. Toutefois, des critiques émergent de plus en plus, remettant en question la sincérité de cette transformation. Plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer les violences récentes perpétrées contre les populations alaouites sur la côte syrienne, accusant HTC soit d’en être complice, soit de ne pas maîtriser entièrement ses factions armées. Ces événements viennent nuancer l’image de rupture avec le passé que cherche à projeter Al-Charaa.

À l’origine, Abou Mohammad al-Joulani dirigeait une organisation engagée dans des campagnes militaires offensives, accompagnées d’exécutions sommaires. Toutefois, depuis 2020, plusieurs décisions-clés indiquent une rupture avec cette approche, traduisant une transition progressive de la violence vers la gouvernance politique. HTC a consolidé son contrôle sur la province d’Idleb et ses environs en combinant répression ciblée contre ses rivaux (notamment Ahrar al-Cham et Hourras al-Din) et mise en place de formes de gouvernance stratégique (Kalyvas, 2006). Le groupe réprime la dissidence, tout en coopérant avec des élites locales et des érudits islamiques pour renforcer sa légitimité. HTC assure aujourd’hui des fonctions essentielles telles que la sécurité, la résolution des conflits et la fourniture de services publics. Cette évolution s’inscrit dans l’approche de Kalyvas (2006), selon laquelle la légitimité dans les guerres civiles ne repose pas uniquement sur l’idéologie, mais aussi sur la capacité à gouverner et à instaurer l’ordre. HTC a ciblé les déserteurs et les opposants de manière sélective, employant la coercition tout en revendiquant la protection des civils. Cela illustre l’usage stratégique de la violence par les groupes rebelles pour obtenir la conformité, tel que le théorise Kalyvas. Dans cette logique, Hamid (2014) souligne que la légitimité des mouvements islamistes découle non seulement de récits religieux, mais aussi d’une gouvernance perçue comme efficace.

Depuis 2018, sous la pression de la contestation populaire et des critiques d’autres factions islamistes, HTC a progressivement redéfini sa position au sein du mouvement djihadiste. Il s’est ouvert à une coopération accrue avec les forces révolutionnaires non islamistes et a cherché à aligner ses intérêts sur ceux de la Turquie et de certains pays occidentaux (ACLED, 2023). Cette réorientation se manifeste notamment par la réduction des affrontements armés avec les forces gouvernementales et la consolidation d’un ordre civil dans les territoires qu’il contrôle. Porté par son leadership charismatique et ses succès militaires, Al-Charaa a instauré une forte cohésion structurelle au sein de HTC, facilitant l’évolution du groupe vers une gouvernance plus institutionnalisée. Cette dynamique l’a mené jusqu’à la présidence intérimaire de la Syrie post-Assad. Son entrée dans la sphère politique s’est d’abord opérée par la gouvernance locale exercée à Idleb, avant de s’élargir dans une stratégie de conquête du pouvoir à Damas. Cette transition repose sur des calculs rationnels et des analyses coûts-bénéfices, mais aussi sur des facteurs perceptifs et psychologiques qui ont influencé ses prises de décision. Les changements idéologiques de la direction de HTC ont été nourris par l’évolution du contexte territorial, la chute du régime, ainsi que par la « socialisation » progressive d’Al-Charaa à travers ses interactions avec l’« autre », qu’il s’agisse de groupes concurrents, d’élites civiles ou d’acteurs internationaux.

Transformation stratégique : la restructuration de HTC

La transformation de Hayat Tahrir al-Cham (HTC) sous la direction d’Abou Mohammad al-Joulani constitue un indicateur clé de sa dynamique de déradicalisation. Au cours de la dernière décennie, HTC s’est progressivement éloigné de ses racines djihadistes pour évoluer d’un groupe strictement militant vers une organisation nourrissant des ambitions de gouvernance (Carenzi, 2020). La rupture avec Al-Qaïda, intervenue en 2016, n’a pas été uniquement symbolique : elle a revêtu une dimension stratégique, en permettant à HTC de rechercher une légitimité plus large auprès des autres factions de l’opposition syrienne, tout en initiant des relations avec des puissances régionales comme la Turquie et le Qatar (Edelbi, 2021). Cette séparation a toutefois engendré des fractures internes, certains éléments plus radicaux quittant HTC pour rejoindre des groupes tels que Hourras al-Din, restés fidèles à Al-Qaïda (Bunzel, 2023). Malgré ces tensions, HTC a poursuivi sa mue organisationnelle, adoptant une approche plus institutionnalisée de la gouvernance (Mampilly, 2011). L’organisation a mis en place des ministères chargés de superviser divers secteurs, notamment l’éducation, la santé, la justice, et a créé une force de police chargée de faire appliquer la loi et d’assurer la sécurité à Idleb et dans les régions sous son contrôle. Une administration civile gère désormais les services publics, les infrastructures et la politique économique (Hoffman & Makovsky, 2021).

Toutefois, ces efforts en matière de gouvernance restent contestés. Plusieurs rapports relatifs aux droits humains dénoncent la persistance d’un contrôle autoritaire, caractérisé par la répression de la dissidence et la censure des voix critiques. Dans son processus d’adaptation, HTC est ainsi passé d’un mouvement insurgé à une autorité gouvernante centralisée, tout en affirmant sa légitimité locale. Pour consolider cette légitimité, Al-Joulani a activement cherché la reconnaissance de la Turquie et a modulé sa rhétorique afin de séduire les acteurs internationaux, sans pour autant relâcher son emprise sur l’appareil sécuritaire. Il a noué des partenariats avec des organisations humanitaires et s’est engagé dans le développement d’institutions civiles. HTC a également collaboré avec les conseils locaux pour organiser les services municipaux et mettre en place des tribunaux hybrides, mêlant les principes de la charia et du droit civil (Mauvais, 2021).

Durabilité de la nouvelle gouvernance et puissances mondiales

Le leadership d’Ahmad al-Charaa soulève un paradoxe central : est-il un pragmatiste opportuniste, ajustant ses positions pour accéder au pouvoir, ou un réformateur authentique, engagé dans une transformation durable de la gouvernance en Syrie ? En réalité, ces deux dimensions ne sont pas nécessairement incompatibles. Sa trajectoire, de militant djihadiste à dirigeant focalisé sur la gestion politique, illustre la complexité de la survie politique dans un contexte de guerre prolongée. Si l’on adopte la lecture du pragmatiste opportuniste, la carrière d’Al-Joulani se distingue par une flexibilité tactique marquée, bien plus que par une fidélité idéologique. Ses alliances fluctuantes, ses ajustements doctrinaux successifs et ses repositionnements stratégiques tendent à indiquer que sa priorité est restée la survie politique. À cet égard, sa rupture avec Al-Qaïda, la répression de ses rivaux et la marginalisation des dissidents apparaissent comme des manœuvres destinées à consolider son pouvoir.

Cependant, une autre interprétation voit dans son évolution une tentative sincère de transition vers une gouvernance légitime. Son éloignement des réseaux djihadistes transnationaux pourrait signaler un changement idéologique profond, orienté vers un projet politique plus localisé. La construction d’institutions à Idleb, ainsi que les efforts, bien que contestés, de HTC en matière de gouvernance, rappellent les trajectoires de certains groupes rebelles ayant réussi à se transformer en acteurs politiques légitimes. Le scénario le plus plausible est que ces deux dynamiques coexistent. Al-Joulani incarne à la fois l’opportunisme stratégique et la volonté de réforme, non comme deux pôles opposés, mais comme des leviers complémentaires dans un environnement instable. S’inscrivant dans une logique de résilience autoritaire, il illustre l’idée développée par Andrew Nathan (2003), selon laquelle les régimes autoritaires s’adaptent pragmatiquement aux pressions, mettant en œuvre des réformes non pas par conviction idéologique, mais par nécessité politique. Ainsi, le tournant d’Al-Charaa peut être compris comme un mécanisme de survie autoritaire : introduire juste assez de réforme pour maintenir la légitimité, tout en conservant un appareil de contrôle solide.

Conclusion

Ahmad al-Charaa a mobilisé des stratégies de gouvernance rebelle, contrôlé la violence de manière ciblée, construit des réseaux économiques et adopté un pragmatisme politique affirmé pour conserver le pouvoir. Sa trajectoire illustre le passage d’un militantisme djihadiste à un modèle hybride de gouvernance autoritaire-rebelle, faisant de Hay’at Tahrir al-Cham (HTC) un cas singulier dans l’histoire contemporaine des insurrections. Cependant, des incertitudes demeurent : ce modèle peut-il durablement intégrer le pluralisme et la démocratie ? Et la communauté internationale est-elle prête à reconnaître HTC comme un acteur politique légitime, malgré son inscription sur la liste des organisations terroristes ? Bien que des avancées aient été réalisées en matière de restructuration, la légitimité du groupe reste largement contestée. Cette transformation pourrait néanmoins ouvrir la voie à une dissolution formelle de HTC et à l’émergence d’une nouvelle entité politique. Comme le suggère Audrey Cronin (2011), certains groupes armés atteignent leur fin non par échec, mais par la réalisation de leurs objectifs initiaux. Si HTC parvient à se transformer en organisation politique pleinement fonctionnelle, cela pourrait constituer un changement structurel durable.

Pour que cette transition soit crédible et pérenne, il est impératif de favoriser l’émergence d’espaces politiques inclusifs et de poser les bases d’une gouvernance démocratique. Cela suppose :

·   Le renforcement des institutions par la création d’instances représentatives, telles qu’un parlement, des conseils locaux ou des commissions indépendantes ;

·      L’instauration de cadres juridiques clairs pour garantir la transparence, l’équité et la responsabilité ;

·      Le dépassement de la stigmatisation et des tentatives de sabotage politique.

Si Al-Charaa poursuit dans la voie de réformes pragmatiques en quête de légitimité internationale, il pourrait devenir un acteur politique stable à l’échelle nationale. Mais si ces adaptations ne relèvent que du calcul tactique, un retour à des pratiques plus autoritaires ou radicales reste possible. En définitive, Ahmad al-Charaa n’est peut-être pas contraint de choisir entre pragmatisme et réforme — il peut incarner les deux. Reste à savoir si sa gouvernance à Idleb marque le début d’une transition politique profonde, ou s’il s’agit d’un ajustement temporaire. Comme l’enseignent d’autres trajectoires de leaders insurgés, le pragmatisme n’exclut pas une réforme authentique. Seul le temps permettra de juger de la sincérité et de la durabilité de ce tournant.

Bibliographie :