Nous republions ici l’entretien réalisé le 22 avril 2025, avec Salam Kawakibi, directeur du CAREP Paris pour le média 963 + en arabe.
Plus de quatre mois après la chute du régime de Bachar el-Assad, la Syrie continue d’affronter de nombreux défis – la situation économique se distinguant comme le plus pressant. Cette dernière subit les conséquences de multiples crises accumulées au fil des années, ayant entraîné une flambée de l’inflation, une corruption endémique et une détérioration drastique des conditions de vie. La reconstruction des infrastructures principales – électricité, eau, communications, routes et autres – et la levée des sanctions internationales constituent une nécessité urgente, après les destructions massives causées par une guerre qui a ravagé le pays pendant plus d’une décennie.
Selon la plateforme spécialisée « Al-Taqa Al-Mutakhasisa », basée à Washington, les pertes directes du secteur électrique syrien au cours des années de guerre sont estimées à environ 40 milliards de dollars, tandis que les pertes indirectes dépasseraient 80 milliards. Les dommages subis dans le secteur de l’eau potable sont quant à eux évalués à 1,2 milliard de dollars, avec une perte significative de nombreuses sources d’eau.
D’après des chiffres officiels récents, sur les 20 000 écoles du pays, au moins la moitié ont été endommagées – certaines détruites jusqu’à 70 %, d’autres transformées en bâtiments délabrés ne répondant plus aux normes minimales d’enseignement. Les Syriens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, nourrissent l’espoir que l’avenir soit marqué par une amélioration des infrastructures, de la sécurité, de la situation économique et des conditions de vie, parallèlement à la levée des restrictions permettant un soutien régional et international efficace.
Dans une interview exclusive publiée dans le septième numéro de l’hebdomadaire 963+ et retranscrite ici, le chercheur syrien Salam Kawakibi, directeur du Centre arabe de recherches et d’études politiques à Paris, évoque le processus de reconstruction, le rôle de la diaspora syrienne et les partenaires sur lesquels la nouvelle administration syrienne compte pour rebâtir le système économique.
La reconstruction de la Syrie est aujourd’hui l’une des questions les plus urgentes et complexes. Quelle est, selon vous, la meilleure stratégie pour y faire face ?
Il est impossible de parler de reconstruction sans avoir d’abord atteint la stabilité sur les plans politique et sécuritaire. Une fois celle-ci assurée, les investisseurs syriens, arabes et étrangers pourront entrer sur le marché et contribuer au processus de reconstruction, qui doit impérativement être planifié par l’État, seul apte à identifier et à évaluer les besoins réels, sans que des intérêts personnels ou de groupe n’interfèrent.
La communauté internationale semble hésitante à financer la reconstruction. Pourquoi ?
Pas du tout, la communauté internationale n’est pas réticente à participer à la reconstruction ; mais elle pose des conditions claires, qu’elle a rappelées à plusieurs reprises : participation inclusive, nature du régime politique, rôle des femmes, relations avec les pays voisins. Par ailleurs, certaines grandes puissances, telles que les États-Unis, imposent leurs propres conditions – bien plus complexes que celles fixées par les pays européens.
Quel est le rôle du secteur privé syrien émigré, et pourquoi les hommes d’affaires syriens à l’étranger ne participent-ils pas davantage à l’effort de reconstruction ?
Le secteur privé de la diaspora syrienne joue un rôle fondamental dans la reconstruction, mais ses acteurs sont logiquement motivés par la rentabilité et priorisent leur pays de résidence et leurs investissements actuels. Comme le dit l’adage, « le capital est lâche » : il est donc peu probable qu’ils investissent dans un contexte aussi incertain, marqué par des politiques chaotiques et un régime politique opaque. Tout cela est profondément lié.
Dans quelle mesure les sanctions américaines constituent-elles un obstacle majeur à l’aide internationale en faveur de la Syrie ?
Les sanctions américaines ont bloqué toutes les tentatives de soutien, y compris la plus récente provenant de l’Europe, qui avait levé certaines sanctions pour une période d’un an. Mais cet assouplissement reste théorique : les États-Unis maintiennent des restrictions strictes sur les transferts bancaires transitant par le système Swift de New York, empêchant toute transaction financière. Cela a notamment compromis les efforts du Qatar pour verser les salaires des employés syriens. Comme je l’ai déjà mentionné, Washington impose des conditions différentes : la démocratie, l’intégration ou les droits des femmes n’entrent pas dans ses priorités. Ce qui importe, notamment sous le mandat de Donald Trump, c’est la sécurité d’Israël et la satisfaction des exigences du gouvernement israélien d’extrême droite, comme la maîtrise totale de l’espace aérien syrien et l’absence d’armement dans les zones frontalières.
Sur quels pays la nouvelle administration syrienne va-t-elle s’appuyer pour la reconstruction ?
La Turquie jouera un rôle central, grâce à son expertise en construction, à sa proximité géographique et aux liens économiques existants avec la Syrie. Elle bénéficiera de la « part du lion » dans les projets, financée par plusieurs pays du Golfe.
Il sera néanmoins essentiel pour le gouvernement syrien de diversifier ses partenaires, tant sur le plan financier que technique, et d’impliquer tous les acteurs régionaux et internationaux souhaitant préserver la stabilité syrienne, tout en empêchant toute tentative de déstabilisation du processus de transformation, que nous espérons démocratique.