Webinaire avec Noa Sanad, Roland Riachi et Serge Harfoush. Discussion animée par Julie Trottier.
Le mardi, 3 juin 2025, de 12h à 13h30.
Argumentaire :
Le Liban est aujourd’hui confronté à une série de crises qui affectent profondément son agriculture : effondrement économique, défaillance des politiques publiques, insécurité alimentaire croissante, raréfaction de l’eau et impacts du changement climatique. Dans ce contexte, ce webinaire propose d’explorer les imaginaires environnementaux qui sous-tendent les choix agricoles et les pratiques rurales au Liban, entre continuités historiques et tentatives de réinvention.
Deux régimes d’imaginaires s’affrontent dans le paysage agricole libanais. D’une part, un modèle agricole orienté vers l’exportation, hérité de l’ère postcoloniale et fondé sur un imaginaire socio-technique de modernisation : mécanisation, monocultures, usage intensif d’intrants, rationalisation des ressources naturelles. Ce modèle, encore dominant dans les politiques publiques, vise la productivité et l’intégration dans les marchés globaux, mais accentue les vulnérabilités écologiques et sociales.
D’autre part, un autre modèle alternatif émerge, porté par des fermes agroécologiques, des initiatives communautaires et des mouvements de souveraineté alimentaire. Ce modèle repose sur un nouvel imaginaire écologique, enraciné dans les écosystèmes locaux, les savoirs vernaculaires et les pratiques de soin. Il propose une autre manière d’habiter la terre, plus résiliente et socialement juste.
Ce webinaire invite à une discussion croisée autour de ces deux régimes d’imaginaires agricoles, en mobilisant les regards de chercheur·es et de praticien·nes de l’agriculture. Ce faisant, il entend répondre à plusieurs questions :
- Quelles sont les racines historiques et politiques des imaginaires agricoles dominants au Liban, et comment ont-ils façonné les choix technologiques et productifs actuels ?
- Quels rôles jouent l’État, les bailleurs internationaux et les acteurs privés dans le maintien ou la transformation de ces régimes agricoles ?
- Comment l’agroécologie et les initiatives locales reconfigurent-elles les rapports à la terre, à l’eau, et à la communauté ?
- Quels savoirs vernaculaires ou pratiques paysannes sont mobilisés ou réinventés dans les expériences alternatives ?
- En quoi les enjeux d’accès et de gouvernance des ressources naturelles sont-ils centraux dans la transition vers des modèles agricoles plus durables au Liban ?
- Comment les questions de justice environnementale, de genre et d’inégalités sociales sont-elles prises en compte dans ces nouveaux imaginaires ?
- Peut-on parler d’un renouveau politique dans les campagnes libanaises à travers l’agriculture ? Et si oui, quelles en sont les limites ?
Bibliographie sélective :
- Davis, Diana, Environmental Imaginaries of the Middle East and North Africa, Athens, Ohio University Press, 2011.
- Escobar, Arturo, Territories of Difference: Place, Movements, Life, Redes, Duke University Press, 2008.
- Hamouchène, Hamza, Extractivism and Resistance in North Africa, The Transnational Institute, 2019.
- Riachi, Roland & Martinello, Giuliano, Manufactured regional crises: The Middle East and North Africa under global food regimes, Journal of Agrarian Change, 2023.
- Robbins, Paul, Political Ecology: A Critical Introduction (2nd ed.). Wiley-Blackwell, 2012.

Roland RIACHI
Roland Riachi est chercheur affilié à l’université américaine de Beyrouth (AUB) et chercheur associé au laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces (LADYSS). Ses recherches portent sur l’économie politique, en général, et l’écologie politique, en particulier, avec un accent sur les questions du développement, de l’eau, des ressources naturelles, de l’agriculture et de l’alimentation dans le monde arabe. Il est auteur de nombreux articles, chapitres d’ouvrages et rapports sur ces sujets. Roland a également travaillé avec différentes agences des Nations unies, notamment l’Escwa et l’OIT, ainsi que d’autres organisations internationales, comme le CRDI et Oxfam.

Noa SANAD
Noa Sanad est doctorante en géographie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et chercheuse affiliée à l’Orient Institute in Beirut (OIB). Son projet de thèse interroge l’essor des alternatives environnementales au Liban suite à la crise économique de 2019. Elle examine la manière dont les collectifs et individus créent des réseaux de solidarité et construisent une souveraineté locale à travers des processus de territorialisation multi-situés. En mettant en avant des pratiques situées, en particulier lorsqu’elles sont opposées à l’imaginaire sociotechnique promu par l’État, ses recherches mettent en lumière la coproduction d’un ordre social alternatif poursuivie par les acteurs locaux.

Serge HARFOUSH
Serge Harfoush est membre fondateur du collectif Buzuruna Juzuruna (en français « nos graines sont nos racines »). Fondé en 2016 par des agronomes et agriculteurs syriens, libanais et français, le collectif anime une ferme-école dans un village de la vallée de la Bekaa dans l’objectif de promouvoir l’agro-écologie localement. Cette initiative vise à la transmission des connaissances sur les cultures et les semences paysannes ainsi qu’à la maîtrise des moyens de production.

Julie TROTTIER (Modération)
Julie Trottier est directrice de recherche au CNRS, spécialiste des territoires palestiniens dans lesquels elle a vécu pendant six ans, de 2012 à 2018. Julie a dirigé le projet de recherche financé par l’Agence française de développement « Les paracommuns de l’eau palestinienne » (2016-2019). Elle collabore actuellement avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture sur un projet de gouvernance de l’eau en Palestine. Julie a également un grand nombre de publications à son actif, dont The Political Role of Date Palm Trees in the Jordan Valley: The Transformation of Palestinian Land and Water Tenure in Agriculture Made Invisible by Epistemic Violence (avec Nelly Leblond et Yaakov Garb, 2020) et Donors and Palestinians Playing with Fire: 25 Years of Water Projects in the West Bank (avec Anaïs Rondier et Jeanne Perrier, 2019).